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30 November 2022

Réglementer les aéroports français – à la recherche d’un juste équilibre

Les coûts des infrastructures aéroportuaires en Europe représentent un défi permanent. Les redevances aéroportuaires représentent environ 15 % des coûts totaux du transport aérien en Europe. Nulle part cela n'est plus évident qu'en France, où les grands aéroports réalisent certaines des marges bénéficiaires les plus élevées du secteur. Les aéroports ayant une emprise quasi monopolistique sur les passagers, une régulation indépendante de leurs services et de leurs coûts est vitale. Pourtant, aujourd’hui, même le faible niveau actuel de réglementation des aéroports en France est menacé. Nous avons parlé à Robert Chad, Area Manager de l'IATA pour la France, la Belgique, les Pays-Bas et l'Europe du Sud, pour expliquer les enjeux.

Robert Chad

Le secteur aéroportuaire français demande une réforme de son encadrement réglementaire. Que demande-t-il exactement ?

En 2016, après des années de pression des compagnies aériennes, les aéroports français ont finalement été soumis à un régulateur indépendant, désormais appelé Autorité de Régulation des Transports (ART). Bien que ses pouvoirs aient été limités, l'ART a rendu des décisions mettant en cause certains aéroports en France pour justifier leur niveau de redevances. Cela a eu pour conséquence d’avoir un lobbying des aéroports afin d’être exemptés de la réglementation. Ou en d'autres termes, d'être autorisés à extraire des bénéfices comme ils l'entendent.

Les propositions des aéroports varient, allant de la restriction des pouvoirs de l'ART à la suppression totale de la réglementation. Les aéroports qui souhaitent passer à la « double caisse », autrement dit de ne pas laisser le régulateur décider quelles activités devraient être incluses dans la réglementation. Les aéroports veulent exclure certaines activités lucratives telles que les revenus des magasins de vente ou du stationnement, permettant des bénéfices plus importants sans aucune obligation de réduire les redevances facturées aux compagnies aériennes et aux passagers. Ils souhaitent également supprimer les dispositions de la loi qui protègent les consommateurs contre les augmentations rapides, au mépris de la politique de l'OACI exigeant que tout changement soit progressif.

 

L'IATA et les compagnies aériennes opérant en France sont-elles inquiètes de cette approche ? Quel serait l'impact si ces changements se concrétisaient ?

La suppression de la réglementation serait une étape extrêmement préjudiciable pour les compagnies aériennes et les passagers. Les redevances aéroportuaires en France sont déjà plus élevées qu'elles ne devraient l'être. Par exemple, en 2018, un aéroport a réduit ses redevances de 33 % et a tout de même réalisé un bénéfice important. La suppression de la réglementation n'apporterait aucun avantage au consommateur ou aux compagnies aériennes. N'oubliez pas qu'en France, la qualité de service et les investissements ne sont pas soumis à une régulation économique. La seule raison de supprimer la réglementation en France ou de réduire sa portée est d'extraire plus d'argent des clients et d'augmenter les profits. Les aéroports n'ont pas besoin de rendements à deux chiffres pour continuer à investir dans les infrastructures.

 

Pouvez-vous nous parler de la notion de 'pouvoir de marché important’ ? De quoi s'agit-il et comment s'applique-t-il aux aéroports ?

Un pouvoir de marché significatif (en anglais Significant Market Power ou SMP) se produit lorsqu'une entreprise fixe les prix ou ajuste la qualité sans affecter de manière significative la demande. L'entreprise n'est pas nécessairement un monopole, mais la concurrence est insuffisante pour maintenir des prix et une qualité compétitifs. Les aéroports, en particulier les plus grands, subissent peu de pression concurrentielle. Contrairement aux compagnies aériennes où les nouveaux entrants peuvent proposer des offres différentes et obliger les opérateurs historiques à se faire concurrence sur les prix et la qualité, il n'y a pas de nouveaux entrants sur le marché des aéroports.

Le trafic de passagers et de fret est déterminé par l'emplacement - et c'est là que les aéroports tirent leur pouvoir de marché. Les redevances aéroportuaires n'ont pas d'impact direct à court terme sur le marché du transport aérien, l'effet des abus est perçu à plus long terme. Seuls 12 % des passagers choisissent un aéroport dans le monde en fonction des installations et des services, et ce nombre tombe à 3 % pour les aéroports de correspondance. Selon le IATA Global Passenger Survey 2022, les passagers se concentrent sur l'emplacement, le prix et le temps de trajet. C'est pourquoi en France, 85% des répondants à une enquête MOTIF de l’IATA en juin 2022 indiquent qu'ils partent habituellement de leur aéroport local.

En France notamment, on a vu des abus de ce pouvoir. Les redevances aéroportuaires ont toujours augmenté, à de très rares exceptions près. L'inflation a un impact sur certains coûts aéroportuaires, mais la plupart des grands aéroports français a augmenté ses redevances au-delà de la hausse de l'inflation. L'ART a évité des abus extrêmes, mais avant même la période inflationniste actuelle, des demandes d'augmentation de 10 % ou plus étaient soumises par des aéroports qui réalisaient déjà d'importants bénéfices.

 

Face au pouvoir de marché des aéroports français, quelle solution pour le régulateur ? Que veulent voir l'IATA et les compagnies aériennes en France ?

D'une certaine manière, il n'y a pas de régulateur indépendant avec les bons pouvoirs, et c'est le cœur du problème. L'ART est juridiquement indépendante du gouvernement, mais l'État dispose de nombreux outils pour l’empêcher de réglementer. Dans d'autres secteurs (comme les autoroutes par exemple), l'Etat a chargé l'ART de se pencher sur les finances, les investissements et la qualité. Ce n'est pas le cas des aéroports pour lesquels l'ART n'a même pas de compétence complète en matière de redevances. Par exemple, si un aéroport pratique des tarifs abusifs, l'ART doit attendre 24 mois avant d'intervenir.

L'IATA et les compagnies aériennes souhaitent que l'Etat donne à l'ART les pleins pouvoirs pour réguler les tarifs, la qualité et les investissements. Nous voulons un régulateur totalement indépendant comme nous le voyons dans les pays voisins. Cela n'entraînera pas nécessairement une diminution des redevances, mais cela conduira à des aéroports plus efficaces et durables qui génèrent un retour sur investissement raisonnable tout en offrant une qualité de service optimale.

 

Quelles sont les prochaines étapes ?

Une réforme de la loi est nécessaire afin de donner les pleins pouvoirs à l'ART sur le marché aéroportuaire. Cela signifie de laisser le régulateur décider quels aéroports doivent être réglementés, quelles activités sont réglementées et comment la qualité, les investissements et les redevances sont décidés.

Ces derniers mois, la France a connu des mouvements de contestation contre la hausse du coût de la vie sur fond d'entreprises annonçant 14% de rentabilité des capitaux employés (ROCE). Les principaux aéroports régionaux de France ont réalisé entre 8 et 14 % en 2019 et certains devraient bientôt revenir à ces niveaux. Il y a même un aéroport qui n'a pas reporté de ROCE négatif pendant la crise ! Cette situation ne peut pas durer. Bien sûr, les aéroports ont besoin d'un taux de rendement raisonnable pour être résilients et investir, mais cela n'a pas de sens que les aéroports déclarent systématiquement plus de bénéfices que les compagnies aériennes malgré un risque moindre.

Nous ne sommes pas seuls dans ce combat. Dans la même enquête MOTIF, nous avons écouté ce que nos clients français nous ont dit et nous espérons que le gouvernement renforcera la réglementation plutôt que de l'affaiblir :

  • 85 % ont indiqué que les gouvernements devraient donner la priorité aux politiques qui maintiennent l'utilisation des aéroports à un faible coût pour les voyageurs
  • 83 % ont indiqué que les prix devraient être réglementés de manière indépendante, comme pour les services publics
  • 76% des répondants considèrent les aéroports comme des monopoles.

(Enquête MOTIF pour IATA, répondants français, juin 2022)

Nous entrerons en relation avec les autorités et les législateurs français car les dommages causés à l'économie française sont importants et s'aggravent - en 2018, nous avons estimé qu'en réglementant la situation pour Paris seule, cela pourrait entraîner 1,5 milliard d'euros de PIB supplémentaire ainsi que la création de 19 400 emplois. Même si les aéroports versent des dividendes ou des frais de concessions importants à l'État, une réglementation appropriée ne se contentera pas uniquement de générer une croissance économique plus élevée. Cela garantira également que l'industrie atteigne ses objectifs de développement durable en rendant les aéroports plus efficaces et en stoppant les rendements excessifs qui empêchent les compagnies aériennes d'investir dans les technologies vertes.

 

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